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Évangile selon Saint Jean 11,1-45


« Jésus aimait Marie et Marthe et Lazare… Jésus pleura. »

Que vous êtes bon, mon Dieu, qui approuvez, encouragez, conseillez les saintes amitiés par votre exemple formel !.. Que vous êtes bon, mon Dieu, vous qui approuvez, sanctifiez les larmes versées sur les morts des amis, des parents, les douleurs de ceux que nous aimons, par votre exemple formel !
Ne craignons pas d’avoir de saintes amitiés, puisque Notre Seigneur nous en donne si formellement l’exemple… Sans doute nous devons aimer tous les humains du même amour à cause de cet amour que nous devons à chacun comme membre de Jésus… Membre de Jésus ! Tout humain l’est comme matière ou prochaine ou éloignée de son Corps mystique, et cette qualité rend si sacré, si vénérable, que l’amour qu’on doit à tous les hommes pour cela fait disparaître toutes les autres causes d’amour dans son immensité : cette cause est une cause transcendante, elle participe à l’infini de Jésus et toutes les autres causes d’amour, si réelles qu’elles soient, se perdent et deviennent des riens devant cet infini… Cependant il y a une différence réelle entre les hommes ; Dieu aime chaque homme, soit dans cette vie, soit dans l’autre, selon le bien qui est en lui… Dieu est parfait, il sait seul toute la vérité, seul il connaît le bien qui est dans les âmes ; nous ne voyons que les apparences, d’où saint Jean de la Croix dit que d’une part pour imiter Dieu, dans sa perfection, nous devrions aimer tout homme selon le bien qui est en lui, d’autre part, à cause de notre ignorance du bien qui est en eux, il faut tous les aimer également, en vue de Dieu… Pourtant Notre Seigneur nous donne l’exemple d’amitiés particulières qui semblent supposer un amour inégal pour tel et tel… Distinguons entre l’amour appréciatif et l’amour intensif. 1° Appréciativement, aimons tous les humains également, à cause premièrement de la dignité égale et transcendante qu’ils ont tous comme membres de Jésus, deuxièmement, de l’impossibilité où nous sommes de connaître avec certitude le bien qui est en chacun. 2° Intensivement, aimons davantage ceux que nous connaissons (« Comment aimer Dieu qu’on ne connaît pas, si on n’aime pas les hommes que l’on connaît ? ») et en qui nous voyons quelque chose des beautés divines, en qui nous entrevoyons un reflet de la bonté, de la justice, de la sainteté de Dieu, à l’exemple de Jésus qui aimait d’une amitié particulière, Jean, Magdeleine, Marthe, Lazare… Notre Seigneur, qui jouissait constamment de la vision béatifique, ne pouvait s’affliger, pleurer, à moins d’une permission particulière, d’une volition particulière de la volonté divine, car la tristesse, les larmes n’appartenaient pas à son état d’âme, à l’état d’union parfaite avec Dieu où il fut nécessairement toujours : l’affliction, les larmes ne pouvaient se trouver en Jésus que par un miracle spirituel. Notre Seigneur a fait ce miracle pour nous, pour nous montrer son amour pour les hommes, et pour nous apprendre qu’il ne faut pas craindre de verser des larmes sur les douleurs humaines, sur les morts des parents, des amis ; les larmes, la compassion, la douleur dans certaines circonstances, sont un effet nécessaire de l’amour tant qu’on est dans l’état de passibilité. Presque tous les hommes sont dans cet état : il faut un miracle spirituel, il faut être élevé surnaturellement par Dieu à l’état d’union, pour se trouver, comme les anges, dans l’état d’impassibilité… Encore cet état n’est-il jamais absolument permanent pour les mortels. Hors le cas excessivement rare où une âme se trouve actuellement élevée par Dieu à l’état d’union, et en même temps à l’impassibilité qui en fait naturellement partie, la passibilité fait nécessairement partie de la nature humaine, et par conséquent la douleur de voir souffrir l’être aimé, de le perdre, de le voir malade, de le voir mauvais, ingrat, indifférent accompagne nécessairement l’amour ; dans l’état de passibilité qui est l’état ordinaire des mortels, la douleur accompagne nécessairement l’amour dans bien des cas; Notre Seigneur a fait un miracle spirituel pour approuver cette douleur, ces larmes de l’homme passible qui aime. Il a voulu verser des larmes (bien qu’elles n’appartinssent pas à son état d’âme et qu’il lui fallût faire pour cela un miracle spirituel) pour approuver, encourager la douleur et les larmes qui accompagnent nécessairement l’amour dans les hommes passibles [1].

[1] M/470, sur Jn 10,40-11,35, in C. DE FOUCAULD, L’imitation du Bien-Aimé. Méditations sur les Saints Évangiles (2), Nouvelle Cité, Montrouge 1997, 192-194.